« Pour changer le monde il faut changer les mentalités, et on change les mentalités en changeant les histoires que l’on raconte » – Nathalie Sejean, interviewée par Le Chaudron

Le Chaudron vous retrouve pour une interview de Nathalie Sejean, qui a participé à la conférence annuelle de la majeure Communication publique et corporate à Sciences Po Lille sur le regard féminin en tension dans la communication. Scénariste, réalisatrice, créatrice de podcast et dessinatrice, elle se définit ainsi comme une « fabriqueuse d’histoires ». Avant de parler de son association et de ses projets, on lui a demandé de nous en dire plus sur son parcours en tant que féministe.

Comment as-tu eu le « déclic » féministe ?

Nathalie Sejean : Je pense que c’est une réponse très longue parce qu’il n’y a pas eu de « déclic » mais une succession de choses dans ma vie.  Je viens d’un milieu qui est très aligné avec le patriarcat et j’ai assisté à énormément de choses qui me semblaient complètement hallucinantes, notamment la considération apportée aux femmes. Donc déjà je comprenais bien que ce n’était pas vraiment logique de me disqualifier à cause de mon genre, mais je n’avais pas du tout le vocabulaire féministe, la mise en mots des constructions intellectuelles de ces choses que j’ai comprises très tôt.  C’est vraiment ces dernières années, comme toute cette nouvelle génération de féministes, que j’ai appris qu’en fait c’était ce que l’on appelle un problème systémique, le patriarcat et la misogynie. Et je pense que comme beaucoup de gens, depuis que je suis toute petite, je vois des choses que je ne trouve pas logiques ou carrément injustes. Et ça, ça m’a toujours posé énormément problème.

Tu te définis comme Queer Artist Animist Activist (QAAA). Est-ce que tu peux nous expliquer ce à quoi cela fait référence ?

Nathalie Sejean : C’est une appellation que j’ai choisie très récemment, notamment parce que je trouve que l’on est à un moment où c’est important de se positionner, si l’on veut être acteur et actrice du changement. En ce moment, je suis en train de me déconstruire sur plein de choses, entre autres sur mon positionnement en tant que citoyenne du monde et ma responsabilité dans l’action ou l’inaction, et ce que ça implique.  J’ai donc décidé d’affirmer quelques éléments de mon identité qui ne changeront pas. Je suis queer, cela prendrait des heures à définir mais en tout cas je ne me définis pas comme hétérosexuelle. Je suis artiste, c’est mon travail, c’est un terme parapluie pour expliquer comment je m’appelle professionnellement dans le monde. Je suis animiste, c’est cette croyance que tout est vivant, c’est quelque chose de très vaste et très complexe, j’invite les gens qui sont curieux à se renseigner, comme pour le mot queer. En fait comme pour le « déclic » du féminisme, je viens aussi vraiment de cette culture pyramidale où l’être humain est au-dessus de tout. Donc voilà ce qui me définirait en matière de positionnement idéologique. Et activiste c’est le plus simple, cela prouve que je suis active.

Nathalie Sejean

Et donc le féminisme imprègne tes projets et nous sommes là pour parler d’un de ces projets, l’association Faiseuse que tu as créé avec Marion Séclin il y a plus d’un an, qui produit des histoires sur supports multiples pour raconter le monde différemment. En effet ce mot, « Faiseuse », traduit votre détermination à développer nos imaginaires. Votre objectif est de changer le monde : pourquoi est-ce si important de raconter de nouvelles histoires pour atteindre cet objectif ?

Nathalie Sejean : Parce qu’en fait cela fait X temps que l’on raconte les histoires et le monde de la même façon. Je suis vraiment fascinée par les gens qui peuvent regarder la même histoire toute leur vie. Il y a des gens qui ont quatre-vingts ans, et qui ont réussi à traverser leur vie sans jamais être fatigués de voir toujours la même chose ; alors même que s’ils utilisent leurs yeux, ils voient bien que dans la rue ce n’est pas pareil. Moi je n’ai pas cette patience là et ce n’est pas un mérite, c’est juste ma personnalité.

Chaque fois que l’on raconte d’autres types d’histoires, on voit bien que cela crée des mouvements dans la façon dont les gens parlent des sujets. Il y a plein de recherches qui montrent que si l’on n’est pas représenté, on n’existe pas. Et il y a tout un ruissellement de choses qui découle de la non-existence d’un individu, au niveau des lois et au niveau de la façon dont les gens se comportent. Personnellement je pense que toutes nos croyances sont des histoires ; certain.e.s croient bien que la terre est plate. Cela peut aussi être l’histoire de la science, en sachant que la science est quand même souvent caduque. Et que l’on se rend parfois compte que ce qui était présenté comme scientifique était en fait une histoire racontée par un être humain, avec des influences et un objectif politique ou personnel.  Donc si toutes les croyances sont des histoires, il faut diversifier les histoires pour que l’on ait plein de choix différents et que chaque individu fasse ce travail de décider dans quel type d’histoire il ou elle a envie de croire, de défendre et pour quel type de monde.

Pour changer le monde il faut changer les mentalités, et on change les mentalités en changeant les histoires que l’on raconte.

Le podcast Conscience sorti en octobre 2019, qui est le premier contenu créé par Faiseuse, et aussi le premier podcast « épistaudio » – épistolaire audio – immersif, c’est à dire que c’est un échange en temps réel entre deux protagonistes. Maxine et Charlotte, deux amies, montent leur marque de vêtements éco responsables par audios interposés entre Paris et Istanbul. Tu as écrit et réalisé ce podcast, avec Marion Séclin. Un compte Instagram l’accompagne avec des photos et infos publiée en même temps que les épisodes pour compléter l’immersion. Comment vous est venu cette idée du premier podcast épistaudio immersif ? Et pourquoi le faire sous forme de podcast ?

Nathalie Sejean : On a d’abord eu l’idée avec Marion de faire un podcast et une fiction audio. Une des missions de Faiseuse est de faire de nouvelles choses et d’essayer de trouver un angle original. Raconter des histoires différemment, c’est se demander comment on peut stimuler les gens différemment, créer des émotions et interpeler les auditeurices. Et une des manières de le faire c’est de recréer cette émotion de la première fois, très rare pour un ou une adulte. Donc on s’est dit que si on réussissait ce pari, l’histoire serait plus difficile à oublier.  Le podcast est aussi un moyen peu cher de créer des histoires tout en touchant un audimat très différent de celui de la vidéo, parce qu’on n’a pas les problèmes de l’image et du jugement. Avec la vidéo, ce que tu racontes doit passer par tellement de filtres avant d’atteindre l’oreille de l’auditeur.ice qu’il valait mieux enlever tous ces obstacles. Après on a pensé au format de messages audios sur WhatsApp parce que c’est comme ça que l’on communiquait beaucoup à l’époque.

Qu’est-ce que tu as retenu et conclu de cette expérience ?

Nathalie Sejean : C’était vraiment génial parce que c’était un projet pas comme les autres. Les temps de la création et de la production étaient vraiment agréables, même si très courts. Et le retour des gens est à la hauteur de nos espérances. C’est vraiment rare d’avoir tout cela dans un projet et donc c’était une super expérience, dont je suis hyper fière. Ce qui est drôle avec ce projet c’est qu’au temps de la diffusion des épisodes on a eu cent à cent cinquante mille écoutes environ et dans cette année il y en a quand même eu trois cent cinquante mille en plus, sans que l’on n’ait rien fait d’autre pour le promouvoir. Et pourtant c’est intéressant parce que cela n’a pas eu de répercussions dans le milieu professionnel du podcast.

Le deuxième projet est Navigation. Tu as écrit et réalisé le film et tu as co-créé avec Marion Séclin et une autre membre de Faiseuse le jeu qui l’accompagne. C’est un gros projet puisque plus de 25 membres de l’association et d’autres personnes en dehors ont participé. Il est assez difficile à présenter sans divulgâcher l’expérience. Est-ce que tu peux nous le décrire pour donner envie à nos lecteur.ices/auditeur.ices ?

Nathalie Sejean : Navigation c’est une histoire qui parle de la charge émotionnelle dans les espaces privés et publics. A la base j’avais écrit le scénario en octobre 2019 sur un sujet qui me tenait à cœur. Mais dans un monde où il doit y avoir des millions d’heures de contenus publiés quotidiennement, on se demande quelle est la plus-value d’une vidéo de six minutes. Donc avec Marion on a commencé à réfléchir pour créer une expérience autour du court-métrage, pour donner un impact plus puissant au message que l’on voulait faire passer. On voulait recréer comme pour Conscience cette sensation de première fois, qui peut devenir un sujet de conversation et de débats. On a pensé à plein de choses, notamment un tour de France en faisant des projections débats mais ce n’était pas original, et très onéreux et chronophage. Du coup on a plutôt fait un jeu, auquel les gens doivent jouer pour débloquer le film, et il faut voir le film en entier pour comprendre la signification du jeu. Ainsi la réflexion sur comment faire pour amplifier notre message de façon ludique est au cœur du projet.

Est-ce un tournant dans Faiseuse, d’utiliser l’histoire pour faire passer un message fort, ou était-ce le but de l’association au départ ?

Nathalie Sejean : On n’a pas créé Faiseuse pour faire passer des messages forts, mais pour faire passer des messages que l’on n’arrive pas à faire passer autrement. Après, la qualité d’engagement du message va dépendre de ce qui se passe dans le monde à l’instant où l’on décide de créer un nouveau projet, et des possibilités que l’on a. Mais le monde a quand même pris énormément de vitesse dans sa dégradation, en tout cas dans son intensité et c’est difficile actuellement de créer de façon neutre. Par exemple, un de nos futurs projets est une autre fiction audio sur le couple libre. C’est beaucoup plus léger que Conscience et Navigation, il y a plus d’humour, mais cela reste engagé parce que l’on se concentre sur des relations humaines diverses et variées, que ce soit de l’amitié aux relations amoureuses, à la violence systémique.

C’est la manière de raconter l’histoire qui fait tout l’engagement.  

Outre ce projet de fiction audio, quelle est la suite, as-tu des projets en cours personnellement ou dans le cadre de Faiseuse ? 

Nathalie Sejean : Avec l’association on a donc ce projet sur le couple libre qui s’appelle La théorie et la pratique que l’on a fini d’écrire avec Marion Séclin en octobre, mais que l’on n’a pas réussi à enregistrer avant la fin de l’année. Pour Faiseuse, on est une association avec plus de 70 membres qui sont dans toute la France donc on est complètement adapté.e.s à la pandémie. On est en train de mettre en place des communications pour avoir un réseau entre nous, et on développe des projets en interne ou en externe. Parce que si à la base on a créé Faiseuse avec Marion pour faire nos projets, cette philosophie de penser que raconter des histoires différemment peut changer le monde prend de l’ampleur et c’est un projet en soi. Pour ma part, mes projets sont encore en cours de réflexion.

Merci à Nathalie Sejean de nous avoir accordé cette interview passionnante ! On peut la suivre sur Instagram @nathaliesejean et suivre le compte de Faiseuse @faiseuse. On peut aussi découvrir son travail sur le site de l’association, recevoir la newsletter, et même devenir membre de l’association car « On ne naît pas faiseuse, on le devient ».  Si cette interview vous a plu, ou que vous préférez l’écoute à la lecture, l’interview intégrale sera bientôt disponible au format podcast. Vous pourrez également retrouver d’ici peu les trois œuvres qui ont marqué Nathalie Sejean en 2020 dans les Recommandations du Chaudron de février ! So Stay Tuned !

Mathilde Guilbaud

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